Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

8. En compagnie du fœtus (17e-18e)

Depuis les premières images anatomiques proposées par Berengario, l’utérus se donne à voir dans sa grande taille, celle de la grossesse. Le succès des représentations d’Ève enceinte, debout dans une nature qui rappelle sa propre fécondité, le jardin d’Éden et la naissance de l’anatomie féminine tient également un autre discours. Justifié, dans son imperfection supposée, par la reproduction, le corps féminin est un vaisseau pour l’enfant à naître : béance que comble l’homme (futur père), il s’accomplit lorsque le fœtus le remplit et lui donne une forme. Avec le visage penché de la modestie, et la tête levée vers le ciel de la suppliante, la main sur le cœur de la fidélité et les cheveux noués de la chasteté, les futures mères sont plus représentées que les tentatrices au ventre vide.

Voire, leur progéniture, au centre de la page, est le véritable objet de l’image. L’obstétrique ne se distingue guère de la gynécologie, dans un monde où l’ordre réduit le corps féminin visible à sa fonction reproductrice.

En haut: Adriaan van de Spiegel, De formato foetu liber singularis, Padoue: G.B. Martini et L. Pasquatus, 1626, Tableaux I-IV. Source: Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis, URL: http://resource.nlm.nih.gov/2417033R

En haut: Adriaan van de Spiegel, De formato foetu liber singularis, Padoue: G.B. Martini et L. Pasquatus, 1626, Tableaux V, VII. Source: Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis, URL: http://resource.nlm.nih.gov/2417033R

De longtemps, les traités médicaux sur la femme s’organisaient comme un récit en trois parties : la conception (virginité et nuit de noces), la grossesse et, enfin, la naissance. Cette composition en trois temps, qui structure tant le recueil médiéval connu comme Trotula que les Secrets des dames dans nombre de leurs versions, trouve une sorte d’aboutissement avec l’ouvrage, en trois livres, de Séverin Pineau : De integritatis et corruptionis virginum notis; graviditate item & partu naturali mulierum, opuscula, trois livrets sur 1 les preuves de la virginité, 2 la grossesse, 3 la naissance naturelle. Le héros de ce récit est… le nouveau-né.

En haut: Séverin Pineau, De integritatis et corruptionis virginum notis; graviditate item & partu naturali mulierum, opuscula, Leiden, Franciscus Heger, 1640 [i. e., 1641], table des matières. Source: Swann auction gallery. URL : https://catalogue.swanngalleries.com/Lots/auction-lot/PINEAU-S%C3%89VERIN;-et-al-De-integritatis-et-corruptionis-virgin?saleno=2362&lotNo=201&refNo=695205

En haut: Séverin Pineau, De integritatis et corruptionis virginum notis; graviditate item & partu naturali mulierum, opuscula, Leiden, Franciscus Heger, 1640 [i. e., 1641], p. 127 et frontispice. Source: Swann auction gallery. URL : https://catalogue.swanngalleries.com/Lots/auction-lot/PINEAU-S%C3%89VERIN;-et-al-De-integritatis-et-corruptionis-virgin?saleno=2362&lotNo=201&refNo=695205 et Google Books.

En haut: Séverin Pineau, Opusculum physiologum et anatomicum, Paris, Robert Nivelle, 1598, p. 141 et 145 : l’enfant précède le placenta… Voire, les enfants précèdent l’utérus dans la succession des planches.

La sexualité, elle-même, est traversée par la venue de l’enfant. Supportée par le décor d’un lit, la Vénus aux cheveux défaits de Cosme Viardel est endormie, ou trépassée. Au premier plan, le fœtus.

En haut: Cosme Viardel, Observations sur la pratique des accouchemens naturels, contre nature et monstrueux, Paris: chez l’auteur, 1674, p. 12. Source: BIU Santé, URL: https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/cote?34653

En haut: Amé Bourdon, Nouvelles tables anatomiques, gravée par Daniel Le Bossu, Paris: Laurens d’Houry, 1678, Tableau 4. Source: Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis, URL: http://resource.nlm.nih.gov/2315037R

Le mannequin obstétrical, objet contemporain des Vénus anatomiques, est destiné à l’enseignement auprès des sages-femmes. Il représente un corps creux (avec des accès sur le ventre et entre les jambes de la parturiente pour les mains des sages-femmes et chirurgiens), coupé aux cuisses comme les gravures le représentent.

Est-ce encore un corps de femme ? La figure, centrale, est celle du ftus, doté d’yeux et oreilles, organes de la perception dont le mannequin de la mère est dépourvu.

En haut: Angélique du Coudray, “La Machine.” Mannequin utilisé pour enseigner l’art des accouchements. Paris: Musée de l’Homme, 1758. Sources: Wikimedia, URL: https://en.wikipedia.org/wiki/File:Machine_de_Madame_du_Coudray-Musée_de_l%27Homme.jpg; et les collections des musées de France en-ligne, URL: http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr

Pareille insensibilité est requise, non seulement de la mère mais aussi des lecteurs et lectrices devant la grande boucherie anatomique qui combine réalisme et ouverture des chairs pour expliquer la naissance chez William Hunter.

En haut: William Hunter, Anatomia uteri humani gravidi tabulis illustrata, Birmingham: John Baskerville, 1774, Tableau XXII. Source: Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis, URL: http://resource.nlm.nih.gov/2491060R

Ève avait été condamnée à « engendrer dans la douleur ». Dans ces images sans pommes ni pommiers, cette douleur est ignorée, le fragment de corps est réduit à un passage. Parfois, même, à une machine.

En haut: William Smellie, A Set of Anatomical Tables, Worcester: Isaiah Thomas, 1793, Planche IV. Source: Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis, URL: http://resource.nlm.nih.gov/2572004R

William Smellie affirme qu’il avait inventé une « machine » comme support pédagogique pour les leçons d’obstétrique (A treatise on the theory and practice of midwifery, 1779). Son “invention” a été déjà reconnue par l’Academie des Chirurgiens Français, qui l’avait attribué à Coudray en 1758.

La génération envahit plus nettement encore le discours anatomique sur le corps féminin au tournant du 18e siècle. La convention de représentation d’un gros utérus est passée en norme, tandis que l’image est centrée sur le fœtus. Le corps de la mère fait décor ou est tronqué.

À gauche: Jacques Fabien Gautier d’Agoty, Anatomie des parties de la génération de l’homme et de la femme, Paris: J.B. Brunet & Demonville, 1773, Planche IV. Source: BIU Santé, URL: https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/cote?02291×01

En bas: Jacques Fabien Gautier d’Agoty, Exposition anatomique de la structure du corps humain, Marseille : Vial, 1759, Planche VIII. Source: BIU Santé, URL: https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/cote?00768ter

En haut: J.-B. Léveillé, “Appareil génital féminin,” Dessins anatomiques et épreuves d’imprimerie, 1878 (1861), p. 15. Source: BIU Santé, URL: https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/cote?ms02367

9. Atlas de la procréation (19e-20e)